Une clé sur le monde des sourds

Depuis septembre, je suis des cours de Langue des signes, principalement parce que je suis curieuse. Aujourd’hui, après la lecture d’Une clé sur le monde de Victor Abbou, je sens que c’est presque une décision militante.

Petite, je m’amusais à imaginer ce que ma vie serait si j’étais tout à coup privée d’un sens. Si j’arrivais assez bien à imaginer une vie où je serais obligée de me laver les dents, manger ou lacer mes chaussures en étant aveugle, a contrario communiquer en étant privée de l’ouïe me semblait bien plus insurmontable.

Je me souviens avoir créé un jour, un petit journal pour ma famille, avec je ne sais quels reportages sur les vacances que nous étions en train de passer. (oui l’écriture est une passion qui remonte à de longues années !) Et en dernière page, dans une rubrique le “saviez-vous ?” ou “on en apprend tous les jours” j’y avais imprimé un abécédaire en langue des signes. J’ai appris à cette occasion qu’il existait donc toute une langue, où non seulement les lettres, mais les mots avaient des signes. Je voulais pouvoir la parler. J’avais une envie folle de pouvoir m’exprimer en toute circonstance, j’étais avide d’apprendre.

L’idée a fait son petit (long) bout de chemin, jusqu’à septembre dernier où j’ai sauté le pas. Je me suis inscrite avec une amie à un cours de langue des signes française (LSF).

C’est ainsi que tous les mardis soirs, nous nous retrouvons, moins d’une douzaine de curieux entendants*, à apprendre la LSF, avec une prof sourde. J’aime beaucoup y aller. Ce n’est pas trop loin de chez moi, j’y vais avec une amie donc on se motive mutuellement, et puis l’ambiance est géniale.

 Une clé sur le monde, de Victor Abbou

Il y a peu, une amie et camarade du cours de LSF m’a prêté un livre, Une clé sur le monde, me disant que je comprendrais beaucoup sur cette langue que nous apprenions. En le lisant j’ai découvert bien plus que cela.

Une clé sur le monde est l’autobiographie de Victor Abbou, un sourd qui a vécu et œuvré pour la naissance d’organismes et manifestations dédiés à la culture sourde. Ce récit poignant s’attarde sur plusieurs moments de la vie de cet homme qui a été à la fois, comédien, militant, formateur et enseignant.

Il nous raconte par exemple son enfance, où il n’avait à sa disposition qu’une vingtaine de signes établis avec ses parents pour communiquer. 20 pauvres signes pour communiquer. Vous imaginez ? Moi j’ai du mal. Privé de vocabulaire et de syntaxe, il n’a pas pu exprimer ses joies, ses peurs ni même ses colères. Dans un monde qui ne considère pas encore le sourd comme une personne capable comme les autres, Victor Abbou s’est longtemps considéré inférieur à ceux qui pouvaient entendre. Jusqu’au jour où, un sourd américain, Alfredo Corrado, demande à rencontrer plusieurs sourds, et leur propose des séances de réflexion. C’est le début d’une nouvelle ère. Une libération. Victor apprend à se questionner sur son identité, son quotidien, sa langue. A trente ans, cette rencontre va bouleverser sa vie.  Émerge de ses séances une multitude de projets, comme la création de pièces de théâtre, de cours de langue de signes, et surtout une théorisation de cette langue.

 Un précieux témoignage

Ce récit m’a beaucoup touchée. Il est un témoignage vivant d’une période que l’on appelle le Réveil des sourds, un moment où la communauté sourde investit sa langue et constitue sa propre culture.

Ce qui était une simple curiosité de ma part pour la langue des signes devient aujourd’hui la reconnaissance d’une culture à part entière. Ce livre m’a donné envie de soutenir la cause de la minorité sourde, dès à présent en apprenant leur langue pour pouvoir communiquer avec eux et ne pas les exclure.

Mais cette autobiographie est aussi un puissant moteur de motivation. A la lecture d’Une clé sur le monde, j’ai eu le sentiment de m’épanouir, de respirer enfin comme Victor Abbou lorsqu’il découvre qu’il a le potentiel de réaliser de grandes choses. J’ai envie d’être active, de me lancer dans des projets même s’ils n’aboutissent pas. Victor Abbou a abattu de nombreux obstacles qui se dressaient devant lui et a vécu une vie riche et diverse alors même qu’il évoluait dans un univers dominé et pensé pour les entendants. Quelles excuses avons-nous, nous entendants, pour ne pas poursuivre nos projets les plus fous ?

w_sourds

Je vous conseille donc vivement cette lecture vivifiante que j’ai dévorée. Le style est très léger, peu littéraire, mais convient parfaitement au format du témoignage. On a l’impression que Victor Abbou nous raconte en direct ces quelques passages de son histoire. D’ailleurs, le livre a d’abord été signé* par son auteur, puis traduit par Katia Abbou, sa fille, interprète de LSF. Il est possible de “voir” le livre dans une vidéo de 2h, où Victor Abbou signe son texte. Ce format peu conventionnel a été permis grâce à la petite maison Eyes éditions, spécialisées dans la production pour et par les sourds.

Cap ou pas cap de “regarder” le livre signé ? Y en-a-t-il parmi vous qui connaissent la LSF ?

Cet article existe en version anglaise : A key to the world of the deaf

3 commentaires sur “Une clé sur le monde des sourds

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