Dans le cadre de ma licence Lettres et Sciences humaines – parcours Métier de l’écrit, j’ai écrit une chronique judiciaire. Elle relate des faits réels observés lors d’un procès.
Chronique judiciaire – Mai 2017
Madame la Juge a les traits fatigués. Elle vient d’écouter l’avocate, à peine diplômée, d’un homme qui a conduit sans permis et qui ne parle pas un mot de français. Elle le sait, l’affaire qui suit est la seule qui n’est pas une histoire de voiture. La seule qui s’éternise, qui est un vrai micmac. Elle tire le dossier et appelle un jeune homme à la barre. Elle soupire, et lit les feuillets. Monsieur X est accusé par son ex petite copine, Mademoiselle Y, de lui avoir porté plusieurs coups, en avril de l’année dernière. Le rapport explique même que Monsieur X l’aurait menacé d’un couteau de cuisine. X nie cette version des faits.
Madame la Juge soupire. Elle crible de questions Monsieur X. Les micros ne marchent pas. Les réponses de X sont inaudibles, du moins, pour le public. Madame le Juge s’appuie sur ses coudes comme pour mieux entendre le prévenu, et tout d’un coup sermonne «Soyez un peu rigoureux.» Monsieur X répond à côté, parle de janvier au lieu d’avril. On relit les rapports de police, les dates se mélangent aussi. On apprend que X a été « entendu » par les forces de l’ordre sans savoir ce qu’on lui reprochait. Madame la Juge soupire.
« – Et Madame Y, vous la voyez encore ? C’est elle qui vous re-sollicite ? – Oui. » L’Avocat de Monsieur X intervient. En brandissant le téléphone portable du prévenu il explique qu’il a des preuves à l’appui. Par manque de temps il n’a pas pu photocopier les listes d’appels. Il se rapproche de Madame la Juge, lui en bas, elle assise, et tous deux se penchent sur le téléphone pour décortiquer les appels de Madame Y. Madame la Procureur arrive à son tour pour regarder. Ils sont tous les trois affairés et parlent tout bas. Moment de suspens. Madame la Greffière n’écrit plus et se permet de répondre à un SMS. Monsieur X est calme. Il baisse la tête avec son regard triste mais froid vers ses chaussures. Et le public patiente.
Le questionnaire de Madame la Juge se poursuit. On apprend que Monsieur X a un tempérament violent, qu’il a été hospitalisé après sa propre initiative, et qu’il est apprenti boulanger. L’Avocat du prévenu annonce que le tuteur de Monsieur X peut témoigner. Madame la Juge s’énerve. Pourquoi n’a-t-elle pas été prévenue plus tôt ? On écoute quand même Monsieur C, responsable éducatif de X à la croix rouge. Monsieur C brosse un portrait méritant de X : enfant seul et étranger, combattif et courageux, qui s’est retrouvé dans une relation amoureuse adolescente, avec une jeune fille instable, prête à tout pour le garder.
C’est à Madame la Procureur de parler. Elle est intransigeante, et considère déjà l’inculpé comme coupable. Puis c’est au tour de la défense. On rappelle qu’il n’y a aucune preuve, les photos ne sont pas datées, les rapports médicaux ne correspondent pas au discours de la plaignante, qu’on regrette absente. Monsieur X a un casier judiciaire vide, et son avocat insiste bien sur sa ténacité à obtenir un emploi. L’exemplarité de son projet professionnel semble plaider en sa faveur.
Madame la Juge explique qu’elle se prononcera dans quelques instants. En attendant elle écoute les histoires d’hommes qui ont conduit l’un sans permis, l’autre sans assurance dans une voiture volée.
Après le temps des délibérations, on revient dans la salle. Les traits de Madame la Juge se sont adoucis. Peut être est-ce parce que l’audience touche à sa fin ? Elle refuse d’expédier l’affaire en quelques minutes, et reporte le jugement à novembre. Monsieur X reste impassible, cette histoire s’éternise et obstrue son avenir, toujours un an après les faits …
Publiée originellement sur mon ancien blog.